De la tension aux sommets au sommet de Singapour avec Donald Trump : une nouvelle ère en Corée ?

Rares ont été les moments de l’histoire où l’on a observé de si rapides transitions. Il y a quelques mois encore, les tensions entre les États-Unis et la Corée du Nord atteignaient leur paroxysme, faisant peser sur le monde la crainte d’un conflit nucléaire. Aujourd’hui, les deux dirigeants se rencontraient.

Même si l’accord signé entre les deux dirigeants, qui appelle à œuvrer pour la « dénucléarisation complète » de la péninsule coréenne en venait à ne pas être respecté dans le futur, la tenue d’un sommet ce mardi 12 juin a déjà marqué les esprits : c’est la première fois que le président des États-Unis rencontre en personne le leader de la Corée du Nord, ce qui, en soi, est déjà un succès.

Image de couverture : Les deux chefs d’État,
en marge de leur rencontre à Singapour le 12 juin 2018
Flickr)

En effet, il aurait été impossible d’imaginer que les deux leaders se serrent la main à l’été 2017, alors que la tension entre les États-Unis et la Corée du Nord atteignait des niveaux jamais vus au XXIe siècle. Rompant avec plusieurs années de « patience stratégique » à l’égard de la Corée du Nord, le locataire de la Maison Blanche avait promis « le feu et la fureur » à la Corée du Nord lors d’une conférence de presse le 8 août 2017, en réponse aux menaces traditionnelles de la Corée du Nord de bombarder l’île de Guam. S’en est suivi une période d’incertitude, où le risque d’un accrochage militaire entre la Corée du Nord et les États-Unis restait bien réel, en parallèle aux nombreuses déclarations agressives des deux pays. En outre, le 3 septembre 2018, les pays voisins de la Corée du Nord observaient une secousse sismique élevée au nord de la frontière entre les deux Corées, de l’ordre de 6,4 sur l’échelle de Richter. Quelques heures après, la Corée du Nord annonçait officiellement avoir réalisé le test d’une bombe thermonucléaire, sensiblement plus puissante que les deux exemplaires employés au Japon en 1945. De nombreux essais balistiques ont également été conduits par Pyongyang par la suite. Ainsi, le 28 novembre 2017, la Corée du Nord procédait à l’essai du missile Hwasong-15. Ayant atteint une altitude de 4000 km, celui-ci serait capable d’atteindre le territoire des États-Unis. Pyongyang a alors annoncé avoir réalisé « la grande cause historique de mettre au point une force de frappe nucléaire », atteignant ainsi son objectif : être un acteur capable de négocier sur un pied d’égalité avec d’autres acteurs sensiblement plus puissants que lui. Cette stratégie du « faible au fort » a permis au jeune leader nord-coréen d’accroître sa légitimité, en la conditionnant à la réussite du programme nucléaire et balistique. L’arme nucléaire militaire, dont le droit à la possession est inscrit dans la Constitution du pays depuis 2012, permet à la Corée du Nord d’accéder à l’autonomie stratégique, sans ennemi ni parrain apte à lui dicter sa conduite, en accord avec les efforts de propagande du régime[1].

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Image non datée de Kim Jong-Un assistant à un essai de missile balistique, fournie par l’agence de presse nord-coréenne le 16 septembre 2017 (© KCNA)

Ce n’est qu’après avoir réalisé cet objectif majeur, énoncé pour la première fois sous le règne du grand-père de Kim Jong-Un et fondateur de la Corée du Nord, Kim Il-Sung (1912 – 1994), que Kim Jong Un a pu consentir à une ouverture.  Le 1er janvier dernier, Kim Jong Un annonçait donc la participation de la Corée du Nord aux Jeux olympiques de Pyeongchang, quelques jours avant la tenue d’une rencontre bilatérale entre les délégations des deux Corées, la première du genre depuis 2015. Le 9 février, la Corée du Nord envoya ainsi une délégation d’athlètes participer aux Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang, où ceux-ci ont défilé aux côtés de leurs homologues sud-coréens, sous le drapeau de la Corée unifiée. Une délégation de haut niveau du régime fut également présente, avec notamment Kim Yo-jong, sœur du dirigeant nord-coréen, assise à quelques mètres du président sud-coréen, ainsi que du vice-président des États-Unis à la cérémonie d’ouverture[1].

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Image intéressante de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques, car sont assis à quelques mètres de distance l’ex-chef des services de renseignement nord-coréens et actuellement négociateur en chef de la Corée du Nord Kim Yong-Chol (en haut à droite) et le général Vincent K. Brooks commandant les forces américaines en Corée. Sont également présents Ivanka Trump, le président sud-coréen Moon Jae In (en bas à gauche) et la vice-première ministre chinoise Liu Yandong (en bas à droite)   Présidence sud-coréenne)

Au mois d’avril, la Corée du Nord a fait plusieurs annonces fracassantes. Le 21 avril 2018[2], le pays s’est en effet engagé à suspendre ses tests balistiques et nucléaires, et à fermer le site d’essais de Pyunggye-Ri, tout en évoquant publiquement, par la voix de Kim Jong Un, le projet d’un « dialogue » avec les États-Unis[3]. Ces annonces ont permis la tenue d’un sommet inter-coréen avec son homologue de Séoul, Moon Jae-In, le 27 avril 2018. Pour la première fois, un dirigeant nord-coréen traversait la ligne de démarcation, en direction du Sud[4]. Lors de ce sommet, les deux leaders ont affiché leur objectif commun de « dénucléarisation totale » de la péninsule. Même si certaines turbulences ont, peu après, remis en cause cette embellie diplomatique[5], les deux leaders ont rouvert un dialogue interrompu depuis 2007, et la Corée du Nord a détruit définitivement son site d’essais nucléaires de Pyunggye-Ri le 24 mai 2018.

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Le président sud-coréen raccompagne Kim Jong-Un après le sommet du 27 avril 2017 Flickr)

Toute cette série d’actes a ainsi permis la tenue aujourd’hui d’un sommet à Singapour entre le président des États-Unis Donald Trump et le leader nord-coréen Kim Jong-Un. À l’issue de cette rencontre historique, les deux dirigeants ont signé un accord dans lequel la Corée du Nord s’engage à « travailler à la dénucléarisation complète de la péninsule », en échange, Donald Trump a annoncé en marge du sommet l’arrêt des exercices militaires des États-Unis en Corée[6].

Toutefois, rien n’est acquis. Il est inutile de rappeler le talent de Donald Trump à changer d’avis, comme les Européens ont amèrement pu l’observer récemment, à l’occasion du G7 de Charlevoix. La Corée du Nord n’a pas non plus pour habitude de briller pour sa fiabilité : des promesses similaires à celles énoncées dans le document commun signé aujourd’hui avaient en effet déjà été énoncées en 1994 et 2005, sans grands résultats. De plus, après avoir ratifié le Traité de non-prolifération nucléaire en 1985, la Corée du Nord s’en est tout de même retirée le 10 janvier 2003, attitude qui pourrait aisément se reproduire en 2018.

Par ailleurs, même si Donald Trump a exprimé sa « confiance » dans le succès de la rencontre pour la dénucléarisation de la péninsule, la prudence reste de mise, comme le révèle la nomination de l’amiral Harry B. Harris comme ambassadeur des États-Unis en Corée du Sud[7]. Le même homme qui, jusqu’alors plus haut gradé américain en charge de toutes les opérations militaires en Asie en tant que commandant de l’US Indo-Pacific Command, avait déclaré que si nécessaire, les forces américaines en Asie étaient prêtes « à combattre dès la nuit tombée » en Corée. Ainsi, cette nomination montre que la prudence reste de mise ; il est encore bien trop tôt pour parler du retrait des forces américaines de la péninsule coréenne, de même que de l’ablation de la « zone démilitarisée », où plus de 1 million de soldats nord-coréens sont stationnés.

La situation se complexifie encore : au début du mois, Kim Jong Un a dû démettre de leurs fonctions trois généraux, dont le Chef d’État-Major de l’Armée ainsi que le directeur du Bureau politique de l’Armée[8]. En effet, une partie de l’armée nord-coréenne verrait d’un mauvais œil l’apaisement des tensions avec l’ennemi héréditaire. La fin du programme d’essais de missiles balistiques et d’essais nucléaires ne fait donc pas consensus en Corée du Nord.

On peut voir à travers ces développements que les négociations dépassent les seules négociations entre les dirigeants. Chaque acteur doit d’abord convaincre son propre camp de l’intérêt d’apaiser la situation tout en leur présentant des résultats. Ce sommet apparaît comme un compromis extrême, avec lequel aucune des parties n’a pu obtenir la totalité de ce qu’elle voulait, tout en souscrivant à d’importantes concessions.

Le but de la dénucléarisation totale de la péninsule coréenne, bien que restant plausible malgré tous les évènements de cette année, demeure encore bien lointain, contrairement aux exigences faites par les États-Unis en 2017, refusant toute perspective de sommet avant la l’abandon total et vérifié par la Corée du nord de son arsenal nucléaire et balistique.

 

Louis Ouvry

 

[1] Kim Jong-Un’s sister turns on the charm, taking Pence’s spotlight, The New York Times, 11 février 2018

[2] Corée du Nord : Kim Jong-Un va suspendre les tests nucléaires et fermer un site d’essais, Europe 1, 21 avril 2018

[3] Kim Jong Un évoque pour la première fois officiellement un dialogue avec Washington, Europe 1, 10 avril 2018

[4] Corée : poignée de main historique entre Kim Jong-Un et le président Sud-coréen, Europe 1, 27 avril 2018

[5] Trump annonce dans une lettre à Kim que le sommet de Singapour n’aura pas lieu, Europe 1, 24 mai 2018

[6] Ce qu’il faut retenir des annonces de Donald Trump et de Kim Jong-Un à Singapour, Le Monde, 12 juin 2018

[7] Trump taps Adm. Harry Harris as ambassador to South Korea, CNN, 18 mai 2018

[8] Le chef de l’armée nord-coréenne limogé, 24 Heures, 4 juin 2018

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